Anticipation
Ce
qui suit est une anticipation.
Tout
ce qui y est décrit se passe déjà,
et
ira en s'amplifiant si les peuples ne parviennent pas à
faire reculer
les
vagues de libéralisations prévues.
Toute
ressemblance avec des situations réelles n'est donc pas
fortuite.
Cette
"anticipation" décrit ce que serait, dans quelques
années, la vie quotidienne si l'AGCS, la directive
Bolkestein et la "Constitution" européenne produisent leurs
effets.
- L'AGCS,
c'est l'Accord général du commerce des services,
un des accords cadre signé avec l'ensemble des accords dits
"de Marrakech", instaurant l'OMC (l'Organisation mondiale du commerce)
en 1994.
- La
Directive dite Bolkestein est un projet de l'Union
européenne (UE), prévoyant "l'harmonisation" des
prestations de services, c'est-à-dire leur
libéralisation. Elle instaure notamment le principe "du pays
d'origine" qui permet à chaque entreprise d'appliquer les
règles de droit de son siège social dans toutes
ses filiales, partout en Europe.
- Le
Traité portant une Constitution pour l'Europe se substitue
au Traité de Rome de 1957 instituant les
Communautés européennes. La partie III de ce
texte "constitutionnalise" (c'est-à-dire qu'elle grave dans
le marbre), le principe de « la concurrence libre et non
faussée ».
L'effet
de ces trois textes se conjugue avec les politiques nationales de
libéralisation.
2015
-
L'AGCS est devenue réalité
-
La directive Bolkestein, relative aux services, a produit ses effets.
-
Le Traité constitutionnel européen,
après une victoire du oui, est appliqué.
Le courrier est en retard.
Depuis que la Poste™ est libéralisée,
pardon, ouverte à la concurrence
??, le courrier arrive n'importe quand.
Alors, Andrée attend, elle attend comme chaque jour la
lettre d'un employeur éventuel.
Elle a toute la journée, après tout.
Elle était aide sociale à la Mairie, elle aidait
les petits vieux pour leurs ménages, leurs courses.
L'aide médicale à domicile a dû
être ouverte à la concurrence :
"les règles imposées par l'OMC "
??
a dit le Maire au pot de départ des 32 aides
ménagères, l'air parfaitement
désolé.
Il n'y pouvait rien, à voir la
tête qu'il faisait.
Maintenant, il paraît que c'est une
société de fourniture de services multiples,
ménage, restauration d'entreprise, "entretien des espaces
professionnels", qui s'occupe de tout.
Elle emploie des Philippines qui viennent là 3 mois, parfois
six, puis repartent
?? .
Les petites mémés n'ont même pas le
temps de retenir leur prénom.
D'ailleurs, maintenant, les petites mémés doivent
payer, et certaines ne peuvent pas.
Alors du coup, Andrée va leur donner un coup de main, elle
les aide quand même.
Si elles peuvent, elles donnent une petite pièce.
Elle ne leur demande rien, à quoi bon?
Midi bientôt. Les enfants vont revenir de l'école.
Enfin, la plus grande ; la plus petite reste à la cantine
??, mais maintenant, c'est un peu trop cher.
Il n'est plus question de payer en fonction de ses revenus, il n'y a que deux tarifs, et qui dépendent de l'âge.
Le Maire a même raconté que l'entreprise de restauration
scolaire qu'il a dû choisir, a demandé les mêmes
subventions que celles qui existent pour la restauration d'une autre
école
??.
Il a refusé. L'entreprise fait un procès, voilà 4 ans que ça dure
??.
Midi, les enfants sortent de la classe.
Avant, j'avais des assistantes maternelles, dit la maîtresse, c'est trop cher désormais.
32 par classe, c'est ça le service public maintenant.
Certaines collègues se sont laissées embaucher par
Maternelle Jolie™, une filiale française d'un groupe
américain
?? qui fait aussi dans la communication d'entreprise.
Elle a bien rigolé la maîtresse quand ses
excollègues lui ont raconté qu'elles devaient travailler
sur un support pédagogique édité par Supra-Com',
la Communication des professionnels™, la boîte qui
détient la filiale française.
Maintenant, la maîtresse rigole moins. Les municipalités
ont en charge l'entretien et la fourniture du matériel
pédagogique
??, et elle doit refourguer un support
pédagogique aux armes de MacKitchen™, le fournisseur de
cantine scolaire.
Midi. La serveuse, à la cantine, est là depuis 10h30,
elle a dû faire une heure de bus pour venir ici, elle finira
à trois heures, recommencera à quatre un peu plus loin
(dans un fast-food), pour finir à 22h elle n'est pas chez elle
avant 23 heures. Heureusement que la voisine garde les petits, 9h30-23h
chaque jour, sauf le dimanche, c'est dur, elle espère
l'année prochaine avoir le SMIC
??.
Midi quinze. Andrée guette le retour de Julie. Une chance que
l'école soit tout près. Si en plus, il avait fallu payer
les transports scolaires
??... D'autant qu'en plus, l'inscription
à la bibliothèque est devenue payante
?? : la petite
aime bien lire, mais pour emprunter des livres maintenant il faut payer.
Et cette année elle devait commencer le sport. C'est cher ça aussi. L'année prochaine, peut-être...
Pendant ce temps à treize heures, début du Conseil
municipal. Première partie, actes réglementaires. Le
Maire propose deux textes relevant de la police administrative, une sur
la sécurité dans les squares, l'autre sur les normes
sanitaires des déjections polluantes.
Premier texte, aucun problème. Deuxième texte : l'usine
Prétrochimica™, brûle les ordures
ménagères. Il a fallu concéder le marché
à la moins disante. La municipalité a bien tenté
d'imposer des normes écologiques de ramassage de déchets
(camions au propane), et de traitement (pas de destructions par
brûlage indiscriminé).
Le Préfet s'est alors manifesté, « cher ami, (il le
connaît bien le Préfet), je comprends vos soucis
écologiques, mais, voyez vous, un cahier des charges aussi
précis, aussi exigeant
??, comment dire, c'est contraire à l'AGCS. A quoi?
L'Accord général sur le commerce des services. C'est un
accord international. Figurez-vous qu'un de ses articles (le VI-4, pour
être précis), prohibe les "obstacles non
nécessaires" au commerce. Et alors? Je ne fais aucun obstacle au
commerce, c'est seulement un cahier des charges de passation de
marché public. »
« La municipalité a le droit de choisir les critères qui... Plus maintenant, cher ami, plus maintenant.
Les entreprises de retraitement et/ou de ramassage de déchets
qui n'opèrent pas selon ces modalités pourront demander
au juge administratif d'annuler ce cahier, et donc toute la
procédure - le juge dministratif français ?
??
Vous êtes certain ? Vous venez de me dire qu'il s'agissait d'un
accord international ? Oui, mais l'article VI-2... Un autre article de
l'AGCS ?
Oui, c'est cela, l'article VI-2 prévoit ce cas de figure. »
« Qu'à cela ne tienne, on ne va pas se laisser enfumer par ce pollueur :
Acte réglementaire de police administrative établissant
la liste des rejets prohibés dans l’atmosphère, ils
vont voir, non mais !
Monsieur le Maire ?
- Oui ?
- Sommes nous certains de la compétence de la municipalité pour prendre ce genre de mesure ?
- Pourquoi ne serait-elle pas compétente ? Ce type de
décision relève clairement des compétences
municipales.
- Oui, mais qui nous dit que Pétrochimica™ ne va pas
contester au motif que nous lui imposons dans son activité un
obstacle non nécessaire ?
- Tout serait "obstacle non nécessaire" alors !
- C'est à craindre, hélas. Et puis, le patron de
Pétrochimica™ est très en cour auprès du
Premier ministre italien, il pourra demander que la France soit
sanctionnée pour cette limitation
??.
- Ou bien, ajoute un autre Conseiller, Pétrochimica™ risque de partir.
- Bon débarras!
- Vous n'êtes pas sérieux. Les emplois, la taxe
professionnelle..."
Quatorze heures, Benjamin arrive à son école.
Il habite loin, le bus de ramassage scolaire ne fonctionne que de
manière aléatoire, il a encore fallu que son père,
revenu exprès du travail, l'amène en voiture. C'est une
compagnie privée
??, elle n'assure que très mal le
service, elle ne répond pas aux injonctions de la Mairie de
l'assurer plus régulièrement, et elle fait des
procès systématiquement. En réalité, elle
va abandonner l'exploitation de cette ligne : trop peu de clients,
villages excentrés, personne ne veut s'enquiquiner pour 10
élèves, quand il est plus simple pour l'entreprise
d'exploiter les lignes rentables. Le petit Benjamin a raté la
leçon du matin, c'est bête, lui qui n'est
déjà pas bien fort en maths
??, si, en plus il rate des
cours de maths..
??
Andrée se rend à Boulot
2015™, l'organisme de placement de personnels ?? pour
lequel elle verse une "cotisation", afin d'être placée sur les
"listes de performances" qui seront présentées en priorité aux
employeurs. Ensuite, elle ira à Job-emploi™, un service totalement
gratuit, entièrement financé par le département, depuis une loi de
décentralisation.
Boulot 2015™ sont sympas, pas tellement efficaces, Andrée craint d'avantage
Job-emploi™. Ils ont passé des "contrats de performance"
avec le département, ils doivent caser un certain nombre d'allocataires de
minima sociaux à n'importe quel prix.
Et si on refuse un
emploi, même en dessous de son ancien salaire et de ses capacités, viré ! Vous
n'êtes pas toute seule, nous ne pouvons continuer de financer à perte une personne
qui refuse sa propre réinsertion.
Elle sent qu'elle va devoir
accepter des emplois intérim de femme de ménage, alors que ce qui l'intéressait
dans son travail précédant, c'était le contact humain avec les petits vieux. Sébastien,
BAC+5, enseignant, attend son tour à Job-emploi™. Même homme de ménage,
il accepte. N'importe quoi, il accepte.
Il vient de recevoir
ses factures. L'eau se paie au prix du caviar maintenant ??.
A la télé, on voit des jeunes enfants gazouillant
sur un fond de gargouillis de fontaine. Ce doit être pour payer sa pub que
Eaunet™,
le fournisseur privé, augmente ses prix.
Et l'électricité,
et le logement ??.
Il sort de la Mairie. On le renvoie au département, qui n'y peut rien, seuls
quels rares logements sont encore sociaux. Maintenant, même les HLM sont gérés
par le privé.
Et c'est fou ce qu'ils réclament comme garanties et
comme revenus. Si ça continue, il va être obligé de retourner vivre chez ses
parents. A bientôt 30 ans...
Le mariage n'est pas pour demain. Non, pas
pour demain, se dit Sophie. Son fiancé est au chômage (BAC+5, pourtant), elle
même termine une formation à l'Ecole
Carroufe™, l'école de la vente par correspondance.
Il a bien fallu qu'elle accepte cette formation entièrement
financée par
Carroufe™,
les frais d'inscriptions ont terriblement
augmenté ??. Maintenant, elle craint d'être envoyée à
600 kilomètres de chez elle par l'entreprise qui lui a payé la formation.
Comment refuser? Monsieur Jean, votre prochaine mission consiste à porter les colis
le plus rapidement possible, dans les endroits les plus opérationnels.
C'est-à-dire?
Nous avons un rayon d'action qui couvre tout le
département, mais des études de marché montrent que cette partie, celle ci et
celle là ne sont habitées que par des gens d'une moyenne d'âge de 62 ans, et
qu'il ne représentent qu'un cinquième de la population totale du département.
Vous servirez donc en priorité les centres urbains.
Les autres attendront. Le Conseil municipal
continue. Partie III : demande de subventions. « Qu'avons-nous aujourd'hui? Un
projet très intéressant, monsieur le Maire, d'activité théâtrale en milieu
ouvert, à destination de jeunes de quartier difficile...
Le Secrétaire égrène les qualités du projet
théâtral, "
compagnie dynamique", "
connaissance du
terrain", "expérience incontestable", etc. Il sait qu'il va
falloir trouver des trésors d'imagination pour faire passer cette subvention
sans que
General Entertainment™, la mégacompagnie de divertissement
mondial, ne la conteste au motif qu'elle-même ne pourra pas la toucher.
Depuis que ce secteur a été ouvert
??,
il y a eu des batailles homériques, des manifestions, des pétitions, mais
General
Entertainment™ a le droit pour lui : dans le cinéma, le théâtre, il ne peut
plus y avoir une subvention sans que la
GE™ n'attaque, "
au nom
des règles de l'OMC".
Aucune subvention ne peut plus être donnée de façon
"discriminatoire".
Autant ne pas en donner.
La télé ronronne.
Bientôt, on nous expliquera qu'on est riche quand le plus grand nombre
s'appauvrit se dit Andrée. Toujours aucune lettre d'un employeur éventuel. La
fin de la séance du Conseil approche. C'est le moment où est fixé le
calendrier. Le Maire devient un VRP. chargé d'aller démarcher les entreprises
pour éviter qu'elles délocalisent chez le voisin, le pays moins cher ou
carrément en Chine. S'il avait su qu'il faudrait se plier à ce genre
d'exercice... Bon, maintenant, questions diverses : les pétitions. Elles s'accumulent.
Le quartier Saint-Gratien se plaint que l’eau sorte marron des robinets. Et
oui, comment leur donner tort ?
Non seulement elle
arrive malpropre mais elle sent la vase. Eaunet™ menace de faire un
procès et de réclamer des dommages et intérêts qui mettraient la collectivité
en difficulté jusqu'à la fin des temps. Autre pétition : le prix des transports
scolaires et leur irrégularité, l'hôpital de proximité à 150 kilomètres, les
services sociaux ruinés...
Le Maire se penche
vers le second adjoint, il aime bien blaguer avec lui :
"Si ça continue,
on va aller planter des cerisiers en Provence, ta femme nous fera des
clafoutis.
-Tu rigoles, on va être obligés d'utiliser des O.G.M ??."
Informations
hors-agcs.org
hors-agcs.ch
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